Cadre théorique
Connectivité

Michael Van Valkenburgh Associates Inc.
Dans le texte de Jan Gehl, Cities for people (2010), on mentionne que les gens sont disposés à une marche d’environ 500m en général et que celle-ci doit comporter certaines qualités afin d’être invitante et intéressante. Par exemple, certains aménagements doivent être présents pour accommoder les gens afin de marcher, rester debout, s’assoir, regarder, écouter et parler. Cela peut se manifester par des chemins, des bancs, des abris, des installations sportives ou sociales, etc. Il s’agit aussi d’une question d’accès universel et d’obstacle qui rendent les connexions avec les parcs moins directe ou plus difficile pour certaines personnes. Gehl mentionne qu’il est important de minimiser les obstacles physiques et même visuels afin de permettre aux gens de voir leur destination et leur permettre de choisir un chemin pour s’y rendre aisément. Il faut aussi considérer que les piétons ne sont en général pas tentés d’emprunter des escaliers ou des chemins à forte pente pour des raisons purement physiques. D’autres notions peuvent également être apportées afin d’améliorer le désir d’utiliser les parcours actifs comme des chemins conçus avec des matériaux antidérapants et qui favorisent le passage d’équipement roulant comme des poussettes ou des fauteuils roulants ainsi qu’une bonne luminosité le long des parcours pour une meilleure sécurité.
Ce sont également des principes abordés par Jane Jacobs dans Life and Death of Great American Cities (1961) qui constate que les rues jouent un rôle important dans l’utilisation qui en est faite par les piétons et leur relation aux espaces publics. Elle mentionne que les larges emprises de rue majoritairement dédiées à la voiture éloignent les gens des espaces collectifs et en diminue le sentiment de sécurité. Des rues à l’échelle humaine que l’on pourrait également qualifier de rues conviviales ou partagées sont à préconiser ainsi qu’une mixité d’activités aux alentours afin d’inviter aux rencontres, à la socialisation et à l’animation de l’espace.
La valorisation du patrimoine industriel
La réhabilitation de friches industrielles, appelées Brownfields, permet de transformer des barrières infrastructurelles en opportunités de connexion avec la East River tout en respectant l'histoire de New York et son patrimoine bâti.

Source : https://nyclpc.maps.arcgis.com/apps/webappviewer/index.html?id=93a88691cace4067828b1eede432022b
Plusieurs programmes sont actuellement en place afin de requalifier ces friches, dont le Brownfield Cleanup Program (BCP) et le NYC Landmarks Preservation Commission (LPC). Cette dernière n'offre pas de subventions pour les projets impliquant la démolition d’immeubles existants, ce qui encourage la préservation des bâtiments industriels historiques présents sur les rives de l’East River.
La LPC est une agence municipale chargée de protéger les bâtiments, les sites et les quartiers qui présentent une importance historique, culturelle ou architecturale (NYC Landmarks Preservation Commission. s. d.). Créée en 1965 à la suite de la démolition du Penn Station, sa mission est de préserver l'identité unique et le patrimoine de la ville en désignant des lieux d'importance en tant que "landmarks". Une fois désignés, ces sites bénéficient d'une protection légale contre les modifications ou démolitions non autorisées, garantissant leur préservation pour les générations futures.
Plusieurs des parcs à l'étude se situent justement dans des zones de conservation historiques identifiées par la LCP, dont le Brooklyn Bridge Park, situé dans les districts protégés de Brooklyn Heights et de Fulton Ferry. Le Governor's Island est lui aussi considéré comme un district historique à part entière (voir carte ci-contre).

Tout comme la Landmarks Preservation Commission, le Brownfield Cleanup Program (BCP) émet lui aussi une carte identifiant des zones, mais spécifiquement des endroits où l'opportunité de réaliser des projets de requalification est particulièrement pertinente. Ces zones, appelées Brownfields, sont des terrains précédemment occupés par des activités industrielles ou commerciales susceptibles d’avoir laissé des contaminants dans le sol ou l’eau. Le BCP de l'État de New York, initié en 2003, vise à stimuler la réhabilitation de ces terrains en combinant dépollution et réaménagement urbain. En offrant des incitatifs fiscaux et un cadre de responsabilité limité pour les développeurs, le BCP encourage la conversion de ces sites en espaces publics, logements ou installations à usage mixte, contribuant ainsi à revitaliser les quartiers tout en répondant aux enjeux environnementaux (BCP, 2023).
Les trois valeurs principales du Brownfield Cleanup Program sont :
1. Réduction de la contamination
Élimination des substances dangereuses et autres contaminants des friches industrielles afin de réduire le risque d'exposition à ces substances nocives et améliorer la qualité de l'air, du sol et de l'eau.
2. Promotion de la durabilité
Impliquer l'utilisation de pratiques et de technologies de construction durables au réaménagement des friches industrielles qui peuvent contribuer à réduire les émissions de GES et à lutter contre le changement climatique.
3. Revitalisation des communautés
Créer des emplois, augmenter la valeur des propriétés et encourager le développement de logements abordables dans les zones à faibles revenus. Revitaliser des zones urbaines en quartiers prospères avec de nouvelles habitations, des entreprises et des espaces communautaires.

Grâce aux initiatives du BCP, nous avons pu formuler des questions nous permettant d'analyser de manière critique la façon dont le réseau de parcs à Brooklyn et à Queens ont été réhabilités à partir de Brownfields :
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Le projet permet-il d’identifier, de nettoyer et de réaménager les friches industrielles de manière efficace tout en minimisant les impacts environnementaux et les coûts associés au processus de réhabilitation ?
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Le projet intègre-t-il la création d'espaces verts sur les friches industrielles réhabilitées, en maximisant les bénéfices écologiques, sociaux et économiques pour les communautés environnantes ?
Outre les facteurs environnementaux liés à l'enjeu de la valorisation du patrimoine, nous tenterons également de déterminer le respect avec lequel les parcs réutilisent et valorisent des éléments issus des friches industrielles, telles que des ruines ou autres vestiges du passé. Pour ce faire, nous émettrons des commentaires similaires à ceux que Katy Daly a formulé dans son essai Preserving New York City’s waterfront industrial and maritime heritage through resilient and sustainable development à propos des parks Domino et Gantry.
Habitabilité

Dans l’ouvrage Responsive Environments, Ian Bentley présente plusieurs critères nécessaires pour la conception d’une ville. Il explique comment concevoir des espaces urbains qui favorisent l’interaction humaine, l’inclusivité et la durabilité en mettant l’accent sur la création de lieux accessibles, vivants et riches. Dans le cadre de notre analyse, seulement les principes de perméabilité, de variété et de lisibilité seront abordés.
Critères de Bentley tiré de Responsive Environments: A Manual for Designers (1985), p.9
La perméabilité c’est la conception d’un quartier qui doit permettre un accès libre et facile aux différents espaces par la multiplication des connexions piétonnes et les parcours offerts. La perméabilité favorise l’utilisation de l’espace et améliore la connectivité entre les quartiers. La perméabilité peut être visuelle ou physique dépendamment du réseau d’espaces publics aménagés. Cette qualité concerne particulièrement les espaces publics et les espaces privés et comment ces derniers interagissent entres eux.

Schéma de la perméabilité tiré de Responsive Environments: A Manual for Designers (1985), p.12
La perméabilité
La variété
En ce qui concerne le principe de variété, Bentley explique comment la diversité est nécessaire afin de donner une richesse au quartier. Cela inclut la forme et la taille bâtiments, ainsi que leurs usages. La variété favorise l’attraction d’une population hétérogène qui fréquente les lieux à différent moment de la journée et pour des motifs différents. De cette manière, la variété transforme l’espace en un environnement capable d’offrir des expériences et de choix aux usagers. Bentley précise également comment les usages doivent être compatibles entre eux. Les fonctions des espaces doivent s’articuler harmonieusement pour soutenir des relations mutuelles, renforçant ainsi la vitalité du quartier. Cela permet de maintenir un flux constant de visiteurs et d’assurer une animation durable de l’espace urbain.
La lisibilité
La lisibilité c’est la qualité d’un espace qui est facile à comprendre et la capacité à s’orienter. Elle se repose sur deux dimensions : la forme physique de l’espace et les activités qui s’y déroulent. Elles peuvent être interprétées de manière indépendante, toutefois, leur complémentarité enrichit significativement le potentiel d’un lieu. Kevin Lynch identifie cinq éléments qui définissent la lisibilité : les nœuds, les limites, les parcours, les districts et les repères. Ces éléments permettent à l’usager de se construire une image claire et cohérente de l’espace, facilitant ainsi son appropriation. De plus, ces éléments contribuent à la qualité urbaine d’un milieu afin de rendre les espaces accessibles, fonctionnels et agréables pour les usagers.
Enfin, l’analyse suivante tentera de critiquer comment le réseau de parcs et les quartiers avoisinants suivent ces principes de design urbain, soient la perméabilité, la variété et la lisibilité. Et comment les quartiers avoisinants ont accès à ces parcs et donc aux berges de l’East River?

Schéma de la variété tiré de Responsive Environments: A Manual for Designers (1985), p.27

Les cinq éléments de Kevin Lynch tiré de Responsive Environments: A Manual for Designers (1985), p.43
Les composantes essentielles de l'identité, le genius loci (l'esprit du lieu), à la fois
naturelles et construites, sont révélées et, à leur tour, suggèrent des politiques de
préservation, d'amélioration et de développement – les éléments essentiels d'un
plan global. […] De toute évidence, la tâche ne consiste pas à fournir un fond
décoratif pour le théâtre de la vie humaine ou simplement à améliorer la ville morne ;
[McHarg soutient q'il] s'agit plutôt de maintenir la nature comme source de vie, tout
l'environnement, en tant qu'enseignant, sanctuaire et défi." (Furjan, 2012)
Dans son ouvrage Design with Nature, Ian McHarg présente une méthode écologique d’analyse et conception. Sa pensée se fonde sur l’analyse rigoureuse des composantes naturelles et construites d’un lieu, soit ses caractéristiques données, le relief, le sol, l’hydrologie, les zones inondables, et ses caractéristiques créées, tout ce qui relève de l’intervention et la création humaine. Il souligne l’importance de relation entre l’environnement naturel et humain dans l’aménagement d’espaces viable et résilients, qui compose le paysage urbain et agit comme structure de la ville.
L’infrastructure douce, ou infrastructure verte, est un concept intrinsèquement lié à l'approche de McHarg (Le Dantec, 2020), dans la mesure où cette technique de conception en aménagement du territoire intègre le paysage naturel et construit pour créer des infrastructures publiques qui adressent la résilience des villes par des solutions inspirées de la nature. (Coleman, 2012).
Ces infrastructures adressent l’érosion des zones côtières, la réhabilitation des terrains contaminés et le besoin de créer des zones de protection contre des risques hydrologiques comme des ondes de tempêtes par des solutions flexibles qui cherchent à réduire la pression sur les infrastructures existantes des villes.
L’intégration de l’infrastructure verte et la gestion de l’eau dans l’espace public devient une stratégie essentielle pour la santé public et la santé écologique des villes hautement à risque comme New York. La flexibilité des espaces conçues pour être des infrastructures vertes permettent à la ville d'évoluer et de s'adapter avec les changements climatiques et la fréquence grandissante des événements climatiques sévères.
L’approche du Water sensitive urban design (WSUD) et le Waterfront Edge Design Guidelines (WEDG) seront utilisés dans le cadre de l’analyse du réseau de parcs à Queens et Brooklyn pour évaluer les stratégies de résilience mise en place le long des berges du East river.
Le WSUD est définie par une étude du HafenCity Universitat comme « une approche interdisciplinaire combinant la gestion de l'eau, le design urbain et la planification paysagère. Elle prend en compte toutes les étapes du cycle de l'eau en milieu urbain et associe la fonctionnalité de la gestion de l'eau aux principes du design urbain. Le WSUD élabore des stratégies intégrées favorisant la durabilité écologique, économique, sociale et culturelle. » (Hoyer et al., 2011)
Les objectifs du WSUD cherchent à réduire l’effet de l’activité humaine sur les écosystèmes naturels, la qualité de l'eau et les cycles hydrologiques, promouvoir le traitement et la réutilisation des eaux de ruissellement in situ, à même le site et intégré à l’aménagement en intégrant les stratégies de gestion de l’eau dans les espaces publics et verts urbains. (Sharma, 2019)
Le Waterfront Edge Design Guide est un système du Waterfront Alliance de New York composée de normes établies et quantifiables pour évaluer la résilience et l’application du WSUD dans des projets en lien avec une zone riveraine, lacustre ou côtière. L’évaluation se base sur six critères qui accordent chacun des points de résilience au projet pour un maximum de 400 points (Waterfront Alliance, 2023). Les projets sont évalués selon :
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Catégorie 0 : Évaluation et planification du site
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Catégorie 1 : Résilience face au climat et aux risques
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Catégorie 2 : Accès et connexions communautaires
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Catégorie 3 : Composition des berges
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Catégorie 4 : Ressources naturelles et durabilité
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Catégorie 5 : Innovation
L'analyse de l'aspect environnemental des parcs portera sur :
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Comment les projets intègrent les principes du WSUD et du WEDG dans la mise en place des stratégies de résilience?
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Comment les projets valorisent l’identité écologique et urbaine de leur environnement?
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Comment les stratégies mises en place adressent la résilience des quartiers adjacentes aux projets envers les enjeux hydro climatiques?